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Que dit la science sur l’éco-anxiété ?

Les recherches sur l'éco-anxiété évoluent au fil des dernières années pour offrir des méthodes efficaces réduisant la pression sur la santé mentale et utilisant cette anxiété comme moteur de l'action. Les recommandations incluent : rappeler aux individus leur pouvoir d'impact, les encourager à s'identifier à d'autres acteurs engagés, canaliser la colère plutôt que la tristesse, et fournir des informations positives pour contrer la négativité excessive.

Trois femmes se tiennent sur une plage de galets et regardent la mer. Elles lèvent les bras en l'air et se tiennent par la main.

L’efficacité personnelle

Le sentiment d’efficacité personnelle est l’un des piliers motivant la mise en place d’un nouveau comportement

Selon la Théorie du Comportement Planifié, théorie majeure des sciences comportementales, pour qu’un comportement se mette en place, il faut que les individus :
aient de bonnes attitudes envers ce comportement (par exemple, il faut qu’ils pensent que ce comportement aura des conséquences positives) ;

  • perçoivent ce comportement comme approuvé socialement ;
  • se sentent en capacité de l’adopter.

Ce dernier point illustre le principe d’efficacité personnelle ou d’auto-efficacité, conceptualisé par Albert Bandura. Il s’agit de la perception que les individus ont de leur propre capacité à mettre en place le comportement. Plus leur confiance à agir et la perception de leur impact seront élevées, plus ils seront enclins à adopter le comportement souhaité. En revanche, les individus qui doutent de leurs capacités à mettre en place le comportement, que ce soit sur le plan intellectuel ou physique, abandonneront plus rapidement.

Pour ce qui est du changement climatique, les individus doivent avoir conscience de l’impact de leurs actions et du fait qu’ils sont capables de faire une différence. Cela est d’autant plus important que le public se sent parfois découragé face à l’ampleur des efforts attendus (on parle quand même de la santé d’une planète entière !). Il est donc important de renforcer cette perception d’efficacité personnelle, notamment en guidant les gens dans la mise en place de comportements à travers des conseils et astuces, et en leur montrant qu’ils peuvent individuellement faire la différence (via du storytelling et des exemples de personnes engagées ayant fait changer les choses). Suite à cela, il peut être intéressant de stimuler la réflexion personnelle sur l’impact que chacun peut avoir à son échelle. Cette réflexion peut renforcer de manière plus active l’efficacité personnelle et compléter les informations fournies.

Une autre façon de renforcer le sentiment d’efficacité personnelle est de décomposer l’objectif ou le comportement souhaité en plusieurs étapes afin de le rendre plus accessible. Il est néanmoins important de toujours garder à l’esprit l’objectif ou le comportement global et de ne pas se limiter à la réalisation de certaines étapes.

Par ailleurs, il est difficile d’accroître le sentiment d’efficacité personnelle par des communications ponctuelles. Il est préférable de communiquer régulièrement sur ce sujet ou de pouvoir fournir un retour d’information régulier aux personnes qui font des efforts.

Ce concept d’efficacité s’applique également au groupe. Pour qu’un groupe se sente encouragé à passer à l’action, chaque membre du groupe, ainsi que le groupe dans son ensemble, doit se sentir capable d’agir et d’avoir un impact. Pour motiver l’action climatique de groupe, il peut donc être intéressant de montrer des exemples d’efficacité de groupe appliqués à d’autres domaines. Par exemple, on pourra rappeler comment les sociétés se sont organisées lors de la crise sanitaire face au COVID.

 

Lectures utiles

Le concept d’efficacité personnelle appliqué au changement climatique :
Davis C. J. et Angill-Williams A. (2021),
https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/13546783.2021.1979651

Heald S. (2017),
https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/00139157.2017.1374792

La théorie de l’efficacité personnelle, ou auto-efficacité :
Bandura A. (1977),
https://psycnet.apa.org/record/1977-25733-001

La théorie du comportement planifié :
Ajzen I. (1991),
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/074959789190020T

Le concept d’efficacité collective appliqué au changement climatique :
Fritsche I. et Masson T. (2021),
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2352250X21000658

L’identité sociale

Selon la théorie de l’identité sociale, les individus cherchent à s’identifier à des groupes sociaux spécifiques. Ils intègrent l’identité de ces groupes dans leur propre identité et se perçoivent en fonction de cette appartenance. Par conséquent, ils vont protéger l’identité et le statut de ce groupe, et agir en accord avec les valeurs de celui-ci. Une fois internalisées, ces valeurs deviennent les leurs et poussent les individus à agir par réelle motivation, mais aussi de manière plus durable.

Adhérer à une identité sociale permet de ressentir l’inclusion dans un groupe et de contrer le sentiment d’isolement. Par exemple, s’identifier à des groupes ou des mouvements qui agissent pour le climat permet d’être en relation avec d’autres personnes ayant des valeurs, des intérêts et des préoccupations similaires, de ressentir un soutien et, par conséquent, de renforcer l’engagement climatique. Cela permet également de redonner espoir et optimisme en montrant que d’autres personnes font des efforts similaires, ce qui est particulièrement important pour les personnes souffrant d’éco-anxiété. Enfin, s’identifier à ces groupes participe à former et à respecter de nouvelles normes sociales, et ainsi de diffuser les bons comportements.

Lorsque le groupe social est valorisé, l’estime de soi de ses membres l’est tout autant. Il est donc important de montrer que faire partie de ceux qui agissent pour le climat est valorisé.

Par ailleurs, l’identité sociale oppose souvent le groupe interne (le « nous ») au(x) groupe(s) externe(s) (le « eux »). Quand il est question de changement climatique, on sait que les individus sont plus sensibles aux conséquences qui touchent leur groupe interne. Ainsi, une étude a même démontré que parler de l’impact sur les générations futures n’était pas toujours efficace. En effet, les gens ont alors tendance à catégoriser ces générations comme faisant partie d’un groupe externe, et sont ainsi moins enclins à agir pour leur protection. Le mieux est alors de ramener ces générations au groupe interne en parlant de « nos enfants » ou « nos petits-enfants ». Les termes d’appropriation tels que « nous », « notre communauté », « notre ville » sont généralement conseillés.

 

Lectures utiles

L’impact des valeurs sur l’action climatique :
Steg L. (2022),
https://www.annualreviews.org/doi/abs/10.1146/annurev-psych-032720-042905

Le rôle de l’identité sociale dans l’action climatiques :
Mackay C. M. L., Schmitt M. T., Lutz A. E. et Mendel J. (2021),
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2352250X21000567

Le biais du groupe interne :
Meleady R. et Crisp R. J. (2017),
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0272494417301056

Le biais de négativité

Le biais de négativité est un phénomène psychologique qui met en évidence la propension des individus à accorder une plus grande importance, à être plus fortement impactés et à se souvenir plus facilement des informations et des expériences négatives que des informations et expériences positives. Cette tendance découle de notre évolution : en effet, pour notre survie, nous avons toujours dû accorder une attention particulière aux menaces. Par conséquent, ce biais de négativité peut renforcer des sentiments déjà négatifs et ainsi alimenter l’éco-anxiété.

Bien que la négativité puisse parfois inciter à l’action, il est important d’aider les individus à équilibrer consciemment leurs perspectives et à réaliser des évaluations plus informées et/ou objectives de certaines situations. Dans le contexte du changement climatique, cette démarche revêt une importance particulière, car les informations fournies ont souvent une tonalité négative et ne mettent pas suffisamment en évidence les réussites et les progrès réalisés. Ce contexte est alors propice au découragement, à l'éco-anxiété, et peut aussi impacter la santé mentale. Une étude récente a d’ailleurs montré que la recherche active d’informations sur le changement climatique était associée à une augmentation de l’éco-anxiété.

Les médias et la communication en général jouent donc un rôle crucial. Afin de contribuer à réduire l’éco-anxiété, il est essentiel de ne pas négliger la présentation d’informations positives

De plus, il peut être utile de recommander la pratique de la méditation aux personnes qui se retrouvent bloquées dans des pensées obsessionnelles liées à leur éco-anxiété, afin de favoriser un état d’esprit plus optimiste.

Pour résumer, une approche équilibrée dans la communication sur le changement climatique, mettant en avant les progrès et les actions positives, et offrant des outils pour gérer l’éco-anxiété, peut contribuer à créer un environnement plus propice à l’action climatique tout en préservant le bien-être mental des individus.

 

Lectures utiles

Les causes de l’éco-anxiété :
Whitmarsh L., Player L., Jiongco A., James M., Williams M., Marks E. et Kennedy-
Williams P. (2022),
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0272494422001116

L’impact des émotions négatives sur la santé mentale et l’impact des médias sur l’éco-
anxiété :
Ogunbode C. A. et al. (2022),
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0272494422001323

Le rôle de la méditation sur le biais de négativité :
Kiken L. G. et Shook N. J. (2011),
https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1948550610396585?journalCode=sppa

De l’anxiété à la colère

Les chercheurs en sciences sociales ont mis en évidence le pouvoir de la colère en tant que moteur de l’action collective et de la résilience. Au cours de l’histoire, la colère face à l’injustice a souvent été le moteur de changements sociaux importants, permettant aux opprimés de gagner en pouvoir et incitant les détenteurs du pouvoir à craindre d’être délogés, ce qui a conduit à des réformes et à des changements significatifs.

Dans le contexte du changement climatique, il a été démontré que l’éco-colère prédit un plus grand engagement dans l’action climatique et aide à préserver une bonne santé mentale, contrairement à l’éco-anxiété et à l’éco-dépression, qui ont tendance à conduire à l’inaction et à un mal-être psychologique. Ainsi, encourager la colère peut aider certaines personnes à sortir de l’inertie de l’éco-anxiété. 

Pour susciter cette colère, il est important d’activer les trois piliers suivants :

  • mettre en évidence l’injustice (par exemple le fait que certaines populations précarisées seront les premières touchées par les changements climatiques, alors qu’elles n’en sont pas à l’origine) ;
  • montrer l’existence d’un groupe partageant cette colère ;
  • permettre au public de s’identifier socialement à ce groupe en colère.

En termes de messages, il est crucial d’éviter les attaques personnelles en pointant plutôt les comportements et les produits responsables de l’injustice.

Un bon exemple d’appel à la colère est Greta Thunberg qui, lors de ses discours, incite le public à transformer sa colère en actions. Des études ont même révélé un « Effet Greta Thunberg » : écouter Greta boosterait le sentiment d’efficacité collective et accroîtrait les intentions d’actions climatiques collectives. Néanmoins, ses discours s’en prennent souvent à des individus ciblés, ce qui diminue la portée de son message puisque ce dernier manque alors de tangibilité en termes de comportements à adopter.

 

Lectures utiles

Passer de l’éco-anxiété à l’éco-colère :
Petit E. et Pouchain D. (2022),
https://hal.science/hal-03891219/document

La différence entre l’hémisphère nord et l’hémisphère sud sur le rôle de la colère dans les actions climatiques :
Kleres J. et Wettergren Å. (2017),
https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14742837.2017.1344546

Le lien entre action, éco-anxiété, éco-dépression et éco-colère :
Stanley S. K., Hogg T. L. Hogg, Leviston Z. et Walker I. (2021),
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2667278221000018

L’effet Greta Thunberg :
Sabherwal A. et al. (2020),
https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdfdirect/10.1111/jasp.12737

La représentation positive

L'image de soi est formée par les représentations (les images) que nous avons de nous-mêmes. Elle repose sur trois théories :

  • la théorie de l'identité sociale : nous dérivons une partie de notre image des groupes auxquels nous appartenons ;
  • la théorie de la comparaison sociale : nous basons une partie de notre image de nous-mêmes sur les autres, soit en nous associant soit en nous dissociant de certaines personnes en fonction de ce qu'elles représentent ;
  • la théorie des divergences internes : il peut exister un écart plus ou moins important entre notre image réelle de nous-mêmes et notre image idéale, ainsi qu'entre notre image réelle et notre image redoutée. Nous cherchons à réduire le premier écart et à augmenter le deuxième, en adoptant des représentations positives de notre image actuelle.

L’image que nous avons de nous-mêmes impacte notre estime de soi. Une image positive conduit à une estime élevée et à une plus grande propension à agir. Pour que cette image soit positive, l'individu a besoin de recevoir des représentations positives de lui-même, que ce soit en interne (par exemple : en se percevant comme une personne engagée dans la protection de l'environnement) ou en externe (par exemple : en appartenant à un groupe engagé pour l'environnement). Les représentations négatives ou l'absence de représentations positives peuvent altérer cette image personnelle, affecter l'estime de soi et générer ainsi de l'anxiété.

Il est donc important de renforcer l'image positive que les individus ont d’eux-mêmes et celle que les autres peuvent avoir d’eux. Cela peut se faire de différentes manières :

  • En ayant recours à l’exemple d’une personne qui fait beaucoup pour l'environnement et en mettant en évidence ou en demandant à l’individu de réfléchir aux similitudes entre lui-même et cette personne.
  • En encourageant l'affirmation de soi. Les recherches ont montré que si un individu est encouragé à se complimenter et à s'encourager, c'est-à-dire à avoir une représentation positive de lui-même, il sera plus ouvert d'esprit. Cette ouverture d'esprit lui permettra alors de ne pas être complètement sous l'emprise des représentations négatives et de les accueillir sans les laisser prendre le dessus.
  • En rappelant les réussites et progrès effectués par l’individu afin de renforcer l’effet warm-glow, un phénomène psychologique qui décrit la sensation de satisfaction et de bien-être émotionnel que l'on ressent après avoir effectué une action bénéfique ou altruiste. Il s'agit ici de réactiver la gratification interne qui provient du sentiment d'avoir agi de manière positive pour le climat, en rappelant tout ce que l'individu a fait pour l'environnement jusqu'à présent. 
  • En encourageant l’appartenance à un groupe. En se comparant à d'autres éco-anxieux, les représentations négatives que certains ont d’eux-mêmes peuvent diminuer (et/ou les représentations positives augmenter). Constater qu'ils ne sont pas seuls à éprouver des difficultés réduira la pression que les éco-anxieux exercent sur eux-mêmes pour atteindre une image écologique idéale, et atténuera ainsi leur anxiété.

La représentation positive joue un rôle crucial dans la gestion de l'éco-anxiété. En offrant des représentations positives d'eux-mêmes, on peut permettre aux individus de passer d'une réputation de victime éco-anxieuse à celle d'acteur éco-responsable. Représenter l’éco-anxiété positive et partagée, et insister sur l’impact bénéfique que cela peut avoir sur l’environnement, est un moyen de booster l’estime et d’améliorer la santé mentale.

 

Lectures utiles

Comment l’anxiété peut être prédite chez l’enfant grâce à leurs représentations internes :
Warren S. L., Emde R. N. et Sroufe A. L. (2000),
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0890856709661062

Comment passer de l’éco-anxiété à la transition heureuse :
Perona M. (2022),
https://www.cepremap.fr/depot/2022/06/2022-09-Eco-anxiete_transition_heureuse-1.pdf

Comment une image de soi éco-responsable est un processus réfléchi (cognitif) alors qu’un comportement éco-responsable est plus un processus affectif :
Welsch H., Binder M. et Blankenberg A-K. (2021),
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0921800920300781?via%3Dihub

Éco-anxiété

Sur les sentiments d'anxiété, de désarroi et de culpabilité face au changement climatique

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