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Que dit la science sur le storytelling ?

Les meilleures stratégies de communication pour promouvoir l'action climatique reposent sur des concepts scientifiques tels que le cadrage de l'information, l'effet du messager et l'identification des moments clés de changement. En comprenant l'impact du langage, de la source du message et des incitations sur la perception de l'information, il est possible de motiver les individus à passer à l'action en faveur du climat.

Un homme parle dans un microphone et porte des écouteurs. Devant lui, un ordinateur portable est ouvert. On dirait qu'il fait de la radio ou un podcast.

Le rôle des émotions

Ces dernières années, il a été démontré que l’affect et les émotions jouent un rôle important dans les réactions de l’humain face au changement climatique. En matière de communication, deux approches se distinguent : celles qui mettent l’accent sur la peur ou la culpabilité d’une part, et celles qui suscitent l’espoir et l’optimisme d’autre part.

L’un des débats scientifiques actuels est de savoir si les messages fondés sur la peur participent à créer un état passif d’évitement, de déni ou d’impuissance face à l’ampleur du problème climatique et s’il est préférable de communiquer des messages fondés sur l’espoir.

Tous les messages suscitant des émotions négatives ne sont pas à éviter. Parfois, ils peuvent accroître la perception des risques et les intentions d’agir. Par exemple, d’après une étude, les individus préoccupés par le changement climatique sont plus enclins à soutenir des politiques climatiques, car cette inquiétude renforce leur sentiment de responsabilité personnelle.

Par ailleurs, une étude récente suggère que la colère liée au climat est meilleure pour la santé mentale que l’anxiété ou la dépression, et qu’elle motive davantage l’activisme climatique et l’adoption de comportements écologiques. Par contraste, les personnes souffrant d’éco-anxiété sont moins enclines à s’engager dans l’action climatique collective.

Les communications positives teintées d’espoir, peuvent également motiver l’action en soulignant que l’amélioration de l’environnement est possible, notamment grâce à l’action collective. Toutefois, il est essentiel de rappeler que cette amélioration n’est pas garantie, afin de ne pas induire l’idée que la situation s’améliore d’elle-même et que les efforts ne sont plus nécessaires. Parfois, la fierté ou le bien-être anticipé(e) résultant d’une action en faveur du climat suffisent à renforcer la motivation à agir.

Reste à noter que les émotions générées par les communications s’estompent avec le temps. Pour qu’une émotion se transforme en action climatique, il est crucial que la communication incite à une action immédiate en faveur du climat.

Ces récentes études proposent des pistes d’améliorations utiles pouvant servir au développement des communications. L’important est d’essayer de susciter ces émotions tout en augmentant les sentiments d’efficacité personnelle afin d’éviter toute paralysie. Néanmoins, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre les relations de cause à effet entre les émotions et l’action climatique.

 

Lectures utiles

Résumé scientifique complet sur l’état de la recherche sur les émotions et l’action climatique :
Prof. Brosch T. (2021), https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2352154621000206 

Le rôle des « émotions discrètes » telles que l’inquiétude, l’intérêt et l’espoir dans le soutien aux politiques climatiques :
Smith N. et Leiserowitz A. (2021),
https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/risa.12140?src=getftr

L’importance de l’éco-colère :
Stanley S. K., Hogg T. L., Leviston Z. et Walker I.  (2021),
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2667278221000018

Le rôle des émotions anticipées :
Taufik D., Bolderdijk J. W. et Steg L. (2016), https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2214629616301955

Les effets temporaires des émotions :
Schwartz D. et Loewenstein G. (2017),
https://journals.sagepub.com/doi/10.1509/jppm.16.132

L’effet de victime identifiable

L’effet de victime identifiable a été identifié et étudié pour la première fois par les psychologues Paul Slovic, Baruch Fischhoff et Sarah Lichtenstein dans les années 1970. Ils ont mené des recherches sur la prise de décision et ont constaté que les individus ont tendance à avoir des réactions émotionnelles plus fortes et sont plus disposés à aider lorsqu’il s’agit d’une victime spécifique et identifiable que lorsqu’il s’agit d’un grand nombre de victimes statistiques. Cet effet a depuis été reproduit et développé par divers chercheurs dans les domaines de la psychologie, de l’économie comportementale et de la sociologie.

Cet effet repose sur quatre principes :

  • Vivacité : les victimes identifiables sont plus vivantes que les victimes statistiques.
  • Certitude : la victime identifiable est certaine alors que la victime statistique est probabiliste.
  • Raisonnement affectif : la victime identifiable appelle un traitement expérientiel et émotionnel de l’information au lieu d’un traitement rationnel et délibératif. Cela permet de créer un lien émotionnel et il devient plus facile de s’identifier à leurs expériences, d’imaginer leur douleur et d’éprouver un sentiment de compassion.
  • Traitement cognitif : les êtres humains sont mieux armés pour penser en termes de concepts concrets que de concepts abstraits. Par conséquent, le traitement de l’histoire de la victime identifiée est plus facile et est mieux retenu qu’une histoire statistique.

 

Lectures utiles

Les effets de l’anonymat sur la prise de décision :
Sassenberg K. et Postmes T. (2010),
https://bpspsychub.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1348/014466602760344313

Comment la perception du risque peut varier en fonction du niveau d’identification :
Slovic P., Fischhoff B. et Lichtenstein S. (1980), https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-1-4899-0445-4_9

Les dessous neurologiques de l’effet de victime identifiable :
Genevsky A., Västfjäll D., Slovic P. et Knutson B. (2013), https://www.jneurosci.org/content/jneuro/33/43/17188.full.pdf

L’importance du messager

L’effet du messager a été découvert et concrétisé grâce aux travaux de plusieurs chercheurs. Cet effet illustre le fait que la validité d’un message est jugée en fonction du messager qui le délivre. Cela s’explique par quatre autres effets qui varient en fonction de la position que le messager occupe dans l’imaginaire de l’audience.

L’effet d’autorité : le messager est respecté, perçu comme crédible, et fait figure d’autorité sur le sujet, légalement, physiquement, socialement, ou intellectuellement. Cet effet explique pourquoi les publicités pour dentifrice utilisent souvent des scientifiques en blouse blanche pour parler de l’efficacité de leur produit. La simple vue de cette blouse est un symbole d’autorité.

L’effet de ressemblance : le messager est perçu comme faisant partie du même groupe que l’audience ou partage des similarités personnelles avec celle-ci. Les personnes sont particulièrement sensibles aux caractéristiques du messager qui leur sont similaires, telles que l’âge, le sexe, l’origine ethnique, la classe sociale, la culture, la profession, etc.

L’effet auréole : la perception d’une personne (p. ex. le messager) est influencée par l’une de ses caractéristiques positives. L’impression favorable d’un aspect de cette personne va être généralisée à la personne dans son intégralité. Par exemple, le public peut être amené à penser qu’une personne physiquement attrayante a d’autres compétences ou qualités, ce qui peut conduire à des jugements biaisés.

L’effet d’affection : le messager est une personne appréciée. À l’inverse, les conseils d’une personne peu appréciée peuvent être rejetés, car les sentiments personnels prédominent parfois sur les signaux d’autorité. Par exemple, si quelqu’un a une aversion ou une méfiance à l’égard des interventions gouvernementales, il sera moins enclin à écouter les messages émanant du gouvernement.

Ainsi, même un messager efficace et bien intentionné peut rencontrer des difficultés pour faire passer son message, tandis qu’un messager crédible aura davantage de facilité à le faire accepter.

Il est également possible d’évaluer la crédibilité d’un messager en utilisant des moyens cognitifs. Par exemple, il est important de prendre en compte des éléments tels que l’existence d’un consensus au sein de la société (c’est-à-dire si de nombreuses personnes différentes disent la même chose) et la cohérence des messages délivrés dans différentes situations (c’est-à-dire si le communicateur exprime la même idée dans des contextes différents).

En résumé, l’acceptation d’un message dépend de divers facteurs, y compris la crédibilité du messager, les relations émotionnelles entre le messager et l’audience, ainsi que la similarité entre le messager et l’audience. Il est également important d’utiliser des critères cognitifs tels que le consensus social et la cohérence des messages pour évaluer la crédibilité d’un messager.

 

Lectures utiles

L’effet d’autorité :
Tyler T. (1997), https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1207/s15327957pspr0104_4?journalCode=psra

L’effet de ressemblance :
Stock S. et collègues (2007), https://publications.aap.org/pediatrics/article-abstract/120/4/e1059/71290/Healthy-Buddies-A-Novel-Peer-Led-Health-Promotion

L’effet auréole dans la réputation environnementale de certaines compagnies dites écologiques :
Park S., Yang D. et Pyeon S. (2019), https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1086026619858878?journalCode=oaec 

La puissance du cadrage

Le cadrage (« framing ») de l’information joue un rôle crucial dans la mise en place de nouveaux comportements. Il s’agit de la manière dont l’information est présentée ou communiquée, y compris le choix des mots ou le contexte qui peuvent influencer de manière significative la manière dont les individus perçoivent et interprètent l’information.

Jouer sur le cadrage peut signifier aborder l’information sous différents angles en fonction de votre public. Citons notamment :

  • via une vision hédonique du message, la notion de plaisir est présente dans le message délivré. Par exemple : « Agir pour le climat, c’est amusant ! »
  • via une vision lucrative du message. Par exemple : « L’action climatique, ça peut rapporter ! »
  • via une vision normative du message. Par exemple : « De plus en plus d’individus comme vous s’engagent dans l’action climatique. »

Le choix du champ lexical est également important. Par exemple, la façon dont on qualifie la criminalité, en la décrivant comme un « virus » ou une « bête dangereuse », ne suscitera pas la même perspective ni la même réaction. Selon une étude, les individus qui perçoivent la criminalité comme un virus adoptent une vision normative et privilégient l’identification de la source du problème ainsi que des mesures de réforme sociale et de prévention. En revanche, ceux qui voient la criminalité comme une bête sont motivés par une perspective plus lucrative et par la crainte, les incitant ainsi à vouloir capturer, emprisonner ou éliminer cette bête.

Il est aussi crucial de tenir compte de la structure du message. Selon la théorie des perspectives de Daniel Kahneman et Amos Tversky, les individus sont deux fois plus sensibles aux pertes qu’aux gains. Ces pertes et gains peuvent être financiers, sociaux, émotionnels, physiologiques et sensoriels. Pour que chacun ait un effet, il est crucial de définir le point de référence du public. En effet, si vous donnez 2 euros à une personne qui en a 100, elle ne percevra pas le gain de la même manière que la personne qui n’a « que » 2 euros. Une fois que le point de référence a été établi, la structure de la formulation des gains et des pertes entre en jeu.

Quatre principes pour accroître la bonne réception du message sont à connaître :

  • Regrouper les pertes : les individus préfèrent une grosse perte en un seul coup à plusieurs petites pertes.
  • Séparer les gains : l’individu attribuera plus de valeurs à deux gains séparés dans le temps (1+1=4) que deux gains ensemble (1+1=2).
  • Présenter une large perte à côté d’un petit gain : il faut mieux accompagner l’annonce d’une large perte couplée à un gain de petite envergure pour inclure une note positive.
  • Présenter un large gain avec une petite perte : les individus sont moins affectés par une perte si elle s’accompagne d’un large gain. La perte s’efface alors et le gain est juste diminué.

 

Lectures utiles

Le cadrage des décisions dans la psychologie du choix :
Tversky A. et Kahneman D. (1981), https://www.science.org/doi/abs/10.1126/science.7455683

Le cadrage normatif, lucratif, et hédonique pour guider les comportements pro-environnementaux :
Lindenberg S. et Steg L. (2007), https://spssi.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1540-4560.2007.00499.x

Les effets du cadrage et l’utilisation de la personnification pour promouvoir les comportements pro-environnementaux qui sont perçus comme demandant beaucoup d’efforts :
Karpinska-Krakowiak M., Skowron L., et Ivanov L. (2020), https://www.mdpi.com/2071-1050/12/14/5524

La fenêtre d’opportunité

Le concept de « fenêtre d’opportunité » ou de « moments de changement » fait référence à des moments ou à des périodes spécifiques de la vie des individus durant lesquels ceux-ci sont particulièrement réceptifs à un changement de comportement.
Ces moments se caractérisent par une plus grande probabilité d’adopter et de maintenir de nouveaux comportements. Citons comme exemples un déménagement, une première rentrée à l’université, le début de la pension, l’arrivée d’un nouvel enfant, etc.

Ces moments perturbent les habitudes du quotidien et laissent la porte ouverte à la mise en place de nouvelles pratiques. Mais ce sont aussi des moments propices à des prises de conscience catalysant de nouveaux comportements. Comprendre et tirer parti de ces moments peut s’avérer crucial pour promouvoir un changement de comportement, notamment en matière d’action climatique.

Cela peut se faire en :

  • ciblant les publics qui traversent des phases de changements ;
  • communiquant via des canaux de communication souvent utilisés lors de ces changements (par exemple, via le pack de bienvenue offert aux nouveaux étudiants) ;
  • offrant des incentives aux bons moments. Une étude menée en 2006 par Sebastian. Bamberg a par exemple montré qu’offrir un titre de transports publics à de nouveaux arrivants, en plus de l’information sur les services proposés par la ville, permet d’accroître l’utilisation des transports publics par ces personnes, et ce, sur quelques semaines.

 

Lectures utiles

Évaluation de l'efficacité d’un déménagement sur le changement de modes de transport de nouveaux arrivants :
Bamberd S. (2006),
https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0013916505285091

Habitudes et changement climatique :
Verplanken B. et Whitmarsh L. (2021),
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2352154621000425?via%3Dihub

Les changements comme opportunités pour modifier les comportements :
Thompson S., Michaelson J., Abdallah S., Johnson V., Morris D., Riley K. et Simms A. (2011),
https://orca.cardiff.ac.uk/id/eprint/43453/1/MomentsofChangeEV0506FinalReportNov2011(2).pdf  

Storytelling

Sur la communication, le cadrage et le pouvoir de la narration

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